L’Observatoire de la démocratie de proximité, piloté conjointement par l’Association des Maires de France (AMF) et le CEVIPOF (Sciences Po), a livré une analyse inédite sur l’évolution des démissions de maires depuis 2008. Le constat est sans appel : en l’espace de trois mandats municipaux, le nombre moyen annuel de démissions de maires a été multiplié par quatre.
Entre juillet 2020 et mars 2025, 2 189 démissions de maires ont été enregistrées par le ministère de l’Intérieur. Il ne se passe plus une journée en France sans qu’un édile démissionne. Le rythme a atteint un pic en 2023 avec 613 démissions. Certes leur fréquence faiblira à mesure que les prochaines élections municipales s’approcheront mais il n’en reste pas moins qu’elles ont atteint une ampleur jamais observée par le passé. En l’espace de trois mandats municipaux, c’est-à-dire entre 2008 et 2026, le nombre moyen de démissions de maires par an a été multiplié par 4.
Le Pas-de-Calais figure, aux côtés de l’Isère, du Nord ou de la Haute-Garonne, parmi les territoires les plus touchés par les démissions. Deux facteurs principaux l’expliquent :
- Un très grand nombre de communes : avec 887 communes, le Pas-de-Calais est l’un des départements les plus morcelés de France.
- Une majorité de petites et moyennes communes : les communes de moins de 3 500 habitants, particulièrement exposées au risque de démission, y sont largement représentées.
Les causes de démission : tensions, fatigue et passations organisées
Les tensions croissantes au sein des conseils municipaux
La première cause identifiée dans l’enquête (30,9 %) réside dans les tensions croissantes au sein des conseils municipaux. Conflits entre le maire et ses adjoints, désaccords persistants avec l’opposition ou divisions internes à la majorité : ces dysfonctionnements fragilisent le pilotage des affaires communales.
L’étude souligne un paradoxe : dans les petites communes où les listes sont souvent composées de proches ou de voisins, les tensions personnelles peuvent rapidement dégénérer en conflits ouverts, rendant impossible la conduite sereine de l’action publique. Le phénomène touche particulièrement les communes de 1 000 à 3 500 habitants, dont une sur quatre a connu une démission liée à ces désaccords.
L’exemple des démissions collectives dans certaines communes illustre la gravité de ces crises locales. Dans ces situations extrêmes, c’est l’ensemble du conseil municipal qui est contraint de quitter ses fonctions, provoquant l’organisation d’élections anticipées, souvent coûteuses et déstabilisantes pour la vie locale.
Les départs anticipés des élus
La deuxième cause de démission (13,7 %) correspond à des départs anticipés mais planifiés dès l’élection. Ce phénomène, très marqué dans les petites communes (moins de 500 habitants), est révélateur d’un réservoir d’élus de plus en plus limité. Faute de candidats volontaires pour occuper la fonction de maire, certains édiles acceptent la charge municipale à titre temporaire, en attendant que leur successeur désigné puisse prendre le relais.
Cette pratique traduit une crise d’attractivité préoccupante pour la fonction. Elle touche en particulier les communes rurales, où le vieillissement de la population et le désintérêt des actifs pour l’engagement politique compliquent la constitution de listes stables et durables. Le maintien du maire en tant que simple conseiller municipal après sa démission montre néanmoins une volonté de rester utile à la collectivité malgré la lourdeur de la fonction.
La santé des maires
La santé des maires devient un sujet central. Près de 13 % des démissions sont motivées par des raisons médicales (maladies chroniques, accidents, vieillissement), et 5,1 % par une fatigue morale intense, souvent qualifiée par les intéressés eux-mêmes de « burn-out ».
Les maires cumulent les responsabilités : gestion des crises (COVID, intempéries, inflation des coûts de l’énergie), surcharge administrative croissante, tensions avec les administrés ou les services déconcentrés de l’État. Les élus professionnels – exerçant une autre activité salariée – sont particulièrement exposés à ces risques d’épuisement.
Plusieurs cas médiatisés dans des villes moyennes comme Périgueux ou Aubervilliers ont permis de briser un tabou sur la santé mentale des élus. Mais le phénomène concerne aussi les petites communes rurales, à l’image de Beuveille (Meurthe-et-Moselle), où le maire a invoqué son épuisement pour justifier son retrait.
Un phénomène qui touche toutes les strates de population
Si les communes de moins de 500 habitants concentrent encore le plus grand nombre de démissions en volume (41,7 % du total), l’étude souligne une progression du risque de démission dans les communes de plus de 1 000 habitants, désormais les plus exposées proportionnellement (11,5 %). Un maire démissionnaire sur quatre dirigeait une commune de 1 000 à 3 500 habitants.
Une fonction fragilisée qui nécessite une réponse législative
À l’heure où les parlementaires travaillent à améliorer le statut de l’élu local, l’étude rappelle que 53 % des maires démissionnaires étaient en fonction pour la première fois. Un chiffre qui traduit à la fois un renouvellement démocratique fort… et une déception à la hauteur des espérances.
Pas de corrélation directe avec les violences subies
Si les agressions verbales ou physiques à l’encontre des maires préoccupent légitimement les associations d’élus, l’enquête souligne qu’elles ne constituent pas un motif direct de démission dans la majorité des cas. Moins de 40 démissions ont été directement attribuées à des violences subies, même si ces actes contribuent indéniablement à un climat d’anxiété généralisée.
Quel avenir pour l’engagement local ?
À l’approche des élections municipales de 2026, ce phénomène interpelle sur l’attractivité même de la fonction de maire. Si la France peut se féliciter d’un fort taux d’engagement citoyen – près d’un Français sur cinquante se porte candidat lors des scrutins municipaux – cette dynamique pourrait s’éroder si la charge pesant sur les élus n’est pas mieux reconnue et accompagnée.